Messages les plus consultés

Nombre total de pages vues

Messages les plus consultés

Rechercher dans ce blog

C'est quoi ce blog ?

Paris, France
Ce blog est celui de la conversation libre. Autour des arts, des livres, de la télévision ou de tout autre sujet de culture mais aussi - n'est-ce pas culturel ? - de la politique. C'est dire, simplement, que sur ce blog on parlera de tout. Je le nourrirai au rythme de mon inspiration, de mes rencontres, de mes visites, de mes lectures, de mes poussées d'admiration ou de colère aussi. Que chacun, ici, intervienne. Que l'on discute les uns avec les autres.. Voilà l'ambition de ce blog. Un mot encore sur le titre. "Mon oeil", c'est ce que je vois, mais c'est aussi, vieille expression, une façon de dire que l'on n'est pas dupe et que l'esprit critique reste le maître contre par exemple le "politiquement correct" et contre les idées reçues, de droite comme de gauche. ************************************************************************************* Pour les amateurs d'art, je signale cet autre blog, plus spécialisé sur l'art et les artistes, les expositions, les formes d'expression d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui: http://monoeilsurlart.blog4ever.com/blog/index-350977.html

vendredi 15 novembre 2013

D. de Villepin vend sa (superbe) bibliothèque (Complété)



Ce qu’il peut être énervant ce Dominique de Villepin !  Adulé, beau garçon, ministre, premier ministre, il écrit bien, il aime Zao Wouki (qui lui a dessiné son ex-libris), …  Vous rêvez d’une bibliothèque où il y aurait tous les livres que vous enviez. Il l’a… La barbe à la fin.  L’ancien premier ministre de Jacques Chirac, retiré de la politique pour mener une carrière renouvelée dans le Barreau, se paie le luxe inouï de se séparer de ses livres. Dans une pirouette à la Magritte, dans la préface du superbe double catalogue,  « Feux et flammes », qu’a consacré à cette dispersion la société de ventes Pierre Bergé et associés, DDV écrit : « Ceci n’est pas une collection ». Mais il ajoute aussitôt : « Il y a dans cette entreprise l’expression d’une recherche personnelle, d’un itinéraire fait de rencontres et de retrouvailles, d’interrogations et de doutes. »

Le beau texte qu’a rédigé l’ancien premier ministre aide à mieux comprendre sa décision de prendre le large loin de ses trésors de bibliophile : « Dans ces documents, je respire à pleins poumons le grand air de liberté et d’idéal qui a fait le souffle de la France pendant tant de siècles. Un souffle, je dois l’avouer, que je ne trouve plus guère en dehors des vestiges, des traces, des signes du passé. » (…) « Pourquoi cette vente ? Parce qu’il y a des moments dans la vie où on a besoin, plus qu’à d’autres, de sens et d’unité. » (…) « C’est aussi, peut-être, une façon de me convaincre, preuves à l’appui et sous l’égide des grands anciens, qu’il n’y a pas de fatalité à la médiocrité politique. »



Autographes, dédicaces, éditions originales… la bibliothèque de DDV contient ce qu’il y a de meilleur et de plus recherché.  Et de plus varié aussi. Deux ventes seront donc consacrées à cette mine d’or. La première, le jeudi 28 novembre, intitulée : « Les voleurs de feu ».

Chronologiquement, le premier ouvrage proposé est un livre de La Boétie : « Vive description de la Tyrannie & des Tyrans, avec les moyens de se garentir (sic) de leur joug » (1577) – estimé de 30 à 40 000 € - . Passons rapidement sur les Montesquieu, Voltaire, Chateaubriand, Lamartine, Lamennais, Nerval, Michelet, Hugo, Tolstoï (les épreuves corrigées de « La Famine » -60 à 80 000€-), Verlaine, Whitman, Zola – signalons  l’exemplaire de « L’Aurore » du « J’Accuse » –estimé de 6 à 8 000 € -,  Vallès, Péguy, Jaurès, Blois, Alain, Barrès, France…

Passons sur Céline, Apollinaire, Cendrars, Rolland, Péret, Vacher, Drieu, Gide, Artaud, Mauriac, Éluard, Saint-Exupéry, Senghor, Césaire, Aragon, Genet, Debord, Alleg,… etc .etc.  L’ensemble des éditions des « Manifestes surréalistes » d’André Breton ( 4 volumes en exemplaires parfaits) est estimée de 20 à 30 000 €. « Les aventures de Tintin, reporter du petit « vingtième » au pays des Soviets » en édition originale, Bruxelles, 1930, volume estimé de 20 à 30 000 €. L’édition originale de « La condition humaine », dédicacée par André Malraux à Céline est estimée de 30 à 40 000 €. « L’homme révolté » de Camus, dédicacé par Camus au Castor, à Sartre est estimée de 40 à 60 000 €.  « Les Mémoires de Guerre » de Charles de Gaulle, « L’Appel , 1940-42 » de 1954 est là. C’est l’exemplaire adressé par Charles de Gaulle à Roger Nimier. « À Roger Nimier dont j’apprécie fort le talent, avec le témoignage de mes meilleurs sentiments. C. de Gaulle, 20 octobre 1954 ». Ce à quoi Roger Nimier a ajouté son propre post-scriptum :  « Et dont je n’estime pas le suicide », rédigé sans doute vers 1960, en raison d la politique algérienne du général que l’écrivain s’apprêtait, au moment de sa mort en 1962, à caricaturer sous le titre « La grande Zorah ». 241 numéros composent  cette première des deux ventes d’exception qui se tiendront les jeudi 28  et vendredi 29 novembre à Drouot-Richelieu.



La seconde dispersion, celle du 29,  comporte 301 numéros. Elle est  intitulée : « Les porteurs de flammes ». Elle démarre avec Charles Quint, excusez du peu, pour un texte manuscrit du 30 mai 1535, signé à Barcelone et portant sur l’Organisation du royaume (est. de 6 à 8 000 €). Suit un Machiavel in 16, fort de 778 pages, qui contient « Les Discours de l’estat de paix et de guerre » … « Plus un livre du mesme aucteur intitulé le Prince », Paris 1571 (est. de 2 à 3 000 €).

Tout ce que la France politique et historique a compté de personnages marquants est très  souvent ici représenté par un autographe. Le simple énoncé des noms –et on en passe, bien sûr -  est un régal : Louis XIII, Richelieu, Mazarin, Louvois, Marie-Thérèse d’Autriche, La Fayette, Camille Desmoulins ( avec notamment le manuscrit des notes pour sa propre défense dans sa plaidoirie contre le rapport accusatoire de Saint-Just - est. 30 à 40 000 € -), Marat, Fouquier-Tinville… Arrêtons nous un instant sur l’exemplaire imprimé sur peau de vélin, en 1791, de la « Constitution française » qui appartenait à Armand-Gaston Camus, l’un des signataires de la Constitution (est. 30 à 40 000 €)…

Reprenons avec les autographes: Bonaparte puis Napoléon Ier, puis Louis-Napoléon Bonaparte, Pasquale Paoli, Cadoudal, Talleyrand, Fouché, Carnot, Ney, Fourier, Proudhon, Blanqui, Barbès, Thiers, Tocqueville, Bugeaud, Gambetta, Louise Michel, Herzl, Trotski, Maurras, Clemenceau… Avançons : Millerand, Krotopkine, Gandhi, Mussolini,  Göring, Pétain, Léon Daudet, Jean Zay…  , un manuscrit de Charles de Gaulle, une réflexion autour de Napoléon Ier, écrite à Trèves en 1928 (est. 10 à 15 000 €).  Plusieurs livres du Général avec des dédicaces sont aussi proposés, dans de bonnes et rares éditions.

Il faut noter que DDV collectionnait et cède aussi des photographies de personnages ou de moments historiques : Lénine, Trotski, Liebknecht sur son lit de mort, Clemenceau à la chasse au tigre en Inde, Hitler, Gandhi et Nehru, Churchill, Khrouchtchev, Krumah, Mao, Nasser, la fratrie Kennedy, Lee Harvey Oswald, Pompidou, Mitterrand, Che Guevarra, des affiches de Mai 68, Gorbatchev… Le catalogue se clôt sur des ouvrages qui ne se trouvent pas là par hasard : les deux volumes de la revue "Tiqqun", organe du Parti imaginaire, 1999-2001,  très lue à Tarnac et « The end of history and the last man » de Francis Fukuyama, en édition originale.


Jacques Bouzerand

mercredi 13 novembre 2013

1914-1918 : Deux frères de Cahors, Jean et Louis Toulouse



1914-1918 :  Deux frères de Cahors: Jean et Louis Toulouse.

         Nous approchons de la commémoration  nationale du début de la Première Guerre Mondiale, cette guerre de 1914 à 1918 qui fut le premier grand carnage du XXème siècle. Le Prix Goncourt vient pour sa part de couronner le beau roman de Pierre Lemaître qui retrace le retour à la vie de deux soldats renvoyés dans leurs foyers… Tant d’autres ne sont hélas jamais revenus.

         Ils étaient deux frères. Deux frères promis à un grand et bel avenir,  nés à Cahors à la fin du XIXème siècle dans une de ces familles qui portaient, enraciné au cœur, dans  l’esprit et dans l’action, l’amour de leur patrie, la France. Jean Toulouse est né le 8 août 1894. Après ses études secondaires au Lycée de Cahors et une licence en droit, il était élève de l’École libre des sciences politiques, Sciences Po, à Paris. Louis Toulouse né le 22 octobre 1895, son jeune frère, s’était inscrit, après le lycée, comme élève de l’École nationale supérieure des Beaux Arts à Paris. Louis est tué au bois d’Avancourt dans les Vosges, le 28 avril 1916. Jean est tué quelques mois plus tard, à Chaulnes dans la Somme, le 4 septembre 1916.
   
                   Retour vers le passé. À Cahors, Jean et Louis traversent une enfance heureuse et choyée dans une famille ayant pignon sur rue dans une belle maison du quartier des Hortes, près de ce qui est aujourd'hui l’avenue Victor Hugo.  Leur père, Émile, natif de Mende en Lozère en 1860, a suivi les enseignements de l’École nationale supérieure des beaux-arts à Paris de 1883 à 1888. En 1897, il est nommé architecte départemental du Lot.  À ce poste, comme le précise Ghislaine Legrand, dans un article du Bulletin de la société des études du Lot, (3 ème fascicule, 2002) , il réalise de nombreux bâtiments publics dans ce département entre 1905 et 1911 : les groupes scolaires d'Albas, de Douelle, de Gignac, de Laramière, de Livernon, de Montcléra ; la mairie-école de Grézels ; la mairie-poste de Saint-Vincent-Rives-d'Olt ; la mairie de Soturac ; de 1897 à 1909 : les écoles de Berganty, Catus, Cazals, Mechmont, Goudou, Puyjourdes, Moussac, Lherm, Marminiac, Pern, Limogne, Varaire. Il construit ou rebâtit des châteaux : à Ladevèze, Pechpeyroux, Blazac, Féral, Cuzals ; et aussi de belles demeures à Cahors : la maison Calmette, 1899 ; la maison Bouchet, 1900-1901 ; la  maison Cornaire, 1900-1910 ; la maison du directeur de la Banque de France aujourd’hui maison Nespoulous, 1905-1909 ; l’hôtel Terminus…  Il construit aussi  de nombreuses églises et des presbytères, il reconstruit des maisons de congrégations religieuses et des clochers…

         Bref, Émile Toulouse mène une carrière active et prospère.  Pour loger toute sa vaste famille pendant ses moments de villégiature et les grandes vacances, il acquiert  à Saint-Cirq Lapopie le Château de Porteroque dont le site et l’environnement l’a séduit. Sa femme, Jeanne, une maîtresse de maison accomplie, originaire du Quercy (elle est née près de Montauban), lui donne sept beaux enfants. Quatre garçons, Jean, Louis, plus tard Pierre, puis Gabriel et trois filles, Lucienne surnommée Lulu, Marie et Louise. 
Étudiants à Paris, les deux aînés ont leurs appartements au Quartier Latin, dont l'un, Quai Conti, tout à côté de l'Institut de France et des Beaux-Arts. Ils mènent une vie studieuse et détachée des soucis quotidiens.

         L’orage éclate en août 1914 avec la mobilisation générale. La guerre est déclenchée. Elle durera quatre années. Âgés de 19 et de 20 ans, Jean et Louis sont mobilisés. Depuis sa chambrée qu’il partage avec « d’épaisses brutes », le 7 septembre, Jean écrit à ses parents : « Mon train de vie est tellement changé que je me sens moi-même tout changé. La vie militaire ne me paraît cependant pas rebutante, loin de là même, mais je manque d’habitude ». Deux jours plus tard : « Maintenant j’ai connu ce dont Maman me faisait un « épouvantail ». Elle disait : « Tu verras quand tu seras à la caserne ! » et ça ne m’a nullement ennuyé ». Le 13 septembre, retenu à l’infirmerie par un épanchement de synovie, il écrit : «  Je suis furieux. J’en pleure de rage. (…). Il vient de partir huit cents hommes pour le front. Je viens de les regarder partir avec envie ». Un mois plus tard, il fait à nouveau ses « quarante kilomètre » sans fatigue. Il lui est proposé d’être élève-officier, mais précise t-il, « j’ai refusé cet honneur, (…), je ne tiens pas plus qu’un autre à laisser ma peau aux Allemands, mais je ne veux pas rester en arrière de ma classe. Si j’en ai l’occasion, j’avancerai aussi bien à la bataille ». Le 12 novembre : « Il est onze heures, je pars à trois heures pour le front. J’ai réussi à me joindre au départ, je suis tout à fait prêt, complètement équipé. Vous êtes mon seul regret, je vous embrasse mille fois tous et vive la France ». Le 31 décembre : « Enfin, j’ai entendu siffler les balles et les obus. Durant cinq jours, aux deux compagnies, il y a eu deux morts ». 1915. Pluie incessante, pieds mouillés en permanence, rhumatismes, neurasthénie, anémie, infirmerie… Jean se plaint beaucoup de  sa solitude « au milieu de convalescents et de tire-au-flanc » et parmi des  soldats qui sont tellement éloignés de son univers social et mental. « Je tourne comme un ours en cage ». Mais il ne perd ni le moral, ni le courage.  « Il faut aussi vous arranger n’importe comment, pour m’éviter la réforme que les majors veulent m’imposer ; si je ne suis bon à rien, j’ai encore assez d’amour-propre pour désirer le faire ignorer ». Le voilà élève-aspirant. Le 6 avril 1916, « j’ai vu ma note définitive à la compagnie qui a été transmise au colonel, la voici : « Très bon élève, intelligent, très énergique, très apte au commandement. Conduite et manière de servir parfaites ». Il espère être envoyé à Valréas ou à Salonique… pour parfaire sa formation d’officier.

         De son côté, Louis part vers la fin de décembre 1914. Le 20, il entre en caserne à Mirande, ville du Gers dépourvue de charme : « Des cartes postales, il n’y en a pas ici, ainsi d’ailleurs que de WC, il y a les écuries et les caves les plus proches ». Au début de janvier 1915, il veut intégrer le peloton des élèves-officiers. Refusé. « Dans notre compagnie, tous les bacheliers et les étudiants ont été aussi éliminés. On n’a pris que les instituteurs et les types pistonnés et quelques types même n’ayant aucun titre. C’est bizarre… ». L’état des lieux est déplorable : « Il y a beaucoup de malades, hier quatre cent cinquante à la visite, à cause des mauvais soins. Il commence à y avoir de la vermine dans les chambrées. Ce n’est pas étonnant, notre paille est dégoûtante, toute brisée, pleine de poussière et de saletés de toutes sortes. De plus, il y en a qui ne se lavent jamais ». Le commandant (Palauque) déteste les intellectuels et il les brime. Louis est heureux de partir au front. Le 14 mai, il est dans les tranchées, en deuxième ligne. Il est déjà monté à l’assaut à la baïonnette. « Pour le moment, je suis dans un trou que je me suis creusé.. Il pleut, ce qui est bien ennuyeux.(…) En quatre jours, j’ai vu des choses inimaginables pour vous ; si je reviens je vous raconterai tout cela ».  Des morts, des blessés… la neige, la boue… 3 avril 1916. Toujours des tranchées qu’il faut creuser et creuser. « L’ennuyeux, c’est que nous n’avons rien à manger, pas même du pain et que nous en aurions bien eu besoin pour nous soutenir » 9 avril. « Tout le jour, c’est un roulement sourd, le sol résonne de coups continuels. La nuit, dans le bois, des éclairs fulgurent de tous côtés, les batteries se mettent à tirer sans relâche et leurs détonations semblent tout fracasser ». 11 avril. « Ce soir nous remontons en ligne. (…). À présent, je suis proposé comme élève-aspirant par le commandant de compagnie, il faudrait faire appuyer ma demande. Cela ne me paraîtrait pas injuste, car j’estime qu’après un an de tranchée, j’ai des titres à présent que beaucoup n’ont pas ». 16 avril. « Ici, même quand ça ne barde pas, la vie est dure. Pas moyen de se laver, de se changer, de manger chaud, de dormir, pas d’abri et toujours entendre le canon ». 21 avril. Son dossier d’élève-aspirant revient. Il est « ajourné » par le général de Lobit, « malgré les bonnes notes du lieutenant, du commandant et du colonel général de brigade ». 23 avril. « Nous montons en première ligne ce soir pour six jours sans doute ». 26 avril. « Le colonel Valy, commandant de brigade a été blessé et  mon lieutenant blessé. Tout le monde y passe ici, mais puisqu’il le faut, il ne faut pas s’en faire pour ça ». Ce sera sa dernière lettre. Son professeur aux Beaux-Arts, Gustave Umbdenstock, avait écrit de lui à son père: « C’est une jolie nature d’artiste, il est stupéfiant en dessin et en modelage. (…) Son travail régulier et sa nature volontaire autant que sérieuse , lui assurent un brillant avenir ».

         Depuis le front, le 16 mai 1916, Jean écrit à sa grand-mère : « Penser qu’il n’y a rien à faire, que le temps ne me rendra pas Louis m’exaspère. Je t’assure que ça n’amoindrit pas mon courage, mais ça m’enlève ma gaîté ». Le 22 mai à son père : « Il aura fallu la mort pour le sortir de la modestie dans laquelle il avait toujours caché son sang froid et calme courage ». Émile, Jeanne, Jean , Pierre, Lulu, tous peinent horriblement dans leur deuil de « Loulou ». Un autre jour Jean écrit : « Dans cette guerre stagnante, où rien n’est imprévu et où on ne peut montrer son courage que sur ordre, je sens la vanité des mots de vengeance et la puissance du hasard contre la volonté. (…). La mort de notre cher Louis m’a fait plus vieux ». Le 20 juin, Jeanne lui écrit : « Voilà qu’il nous faut tout d’un coup, bon gré mal gré, nous hisser sur ces sommets et monter le calvaire ! Ce sont des âmes si avancées en civilisation, en douceur, si peu faites pour ces horreurs, qui s’y sont vues plongées ! Les gens un peu rudes d’autrefois, ignorant nos délicatesses, ont vu en somme des guerres supportables… Nous, la pire de toutes, et puisse-t-elle être la dernière ! » Le 2 septembre, Jean écrit : « Nous sommes en ligne depuis cette nuit ». Le 3 septembre : «  Nous ne faisons rien que de mener une vie absolument inconfortable en entendant le canon qui fait sauter les cervelles dans nos crânes. Tout va bien et moi aussi». Le 4 septembre, tout au commencement de l’assaut, Jean, dans la première ligne française, tombe,  frappé par un éclat d’obus à la tête.

         Mieux qu’un roman, cet échange de lettres dans l’intimité d’un famille soudée, des lettres écrites par des personnes cultivées et d’esprit ouvert, braquent un projecteur sur ce qu’a été cette guerre affreuse dont nous allons commémorer le centenaire.  Préoccupées par l’autre grande abomination du siècle, la seconde guerre mondiale et ses millions de victimes militaires ou de victimes civiles assassinées par le racisme, le nationalisme exacerbé, la fureur des armes, nos générations avaient jeté, bien légèrement, le voile de l’oubli  sur ces millions de morts et les souffrances de nos grands-parents. De plein fouet celles-ci nous reviennent dans la face. Les lettres que nous lisons ici, avec leur vivacité, leur poids de vécu, leur proximité de sentiments,  nous touchent. Rassemblées par Philomène d’Arenberg, nièce de Jean et Louis Toulouse, fille de Pierre, ces lettres, présentées par Jacques Legendre et Sophie de Lastours, dans une édition revue par Gilbert Eudes, chez L’Harmattan, sont accompagnées de photographies de famille et de dessins réalisés au front par Jean et par Louis Toulouse.


Jacques Bouzerand

PS. J’aurais pu, aussi, rendre compte de la deuxième partie très passionnante de ce livre   composée des mémoires de René Tognard, né en 1894 dans la Vienne. Pilote, mitrailleur, deux fois cité, deux fois blessé, ce militaire mobilisé en 1914 a été démobilisé en 1919. Agriculteur,  président de coopérative agricole, administrateur du Crédit agricole et de la Caisse d’épargne notamment,  il est devenu sénateur de la Vienne. Il est mort en 1976.














jeudi 7 novembre 2013

Françoise Gaujour : Dans le silence des grands espaces





C'est toujours une surprise agréable de découvrir une nouvelle facette chez une personne que l'on connait sous d'autres angles et que l'on apprécie déjà pour beaucoup d'autres qualités. Françoise Gaujour, je l'ai connue lorsqu'elle débutait dans le journalisme.  Elle a mené depuis une carrière enviable dans la presse écrite, à la radio, à la télévision… De l'environnement à la culture  elle a montré l'étendue de son intérêt pour l'information, l'économie, les arts… et sa capacité à animer des émissions avec un ton enjoué. Et voilà que je découvre une autre Françoise Gaujour, artiste.

En voyageant à travers le monde, et notamment en Afrique où elle a vécu enfant,   Françoise Gaujour  s'est mise à fixer les images de ce qu'elle perçoit des réalités qui l'entourent. Au Mali, en 2004, ce sont des paysages et des visages. En Islande, plus tard, elle va plus loin que la capture, vers la stylisation. Et peu à peu,  elle se forge un style qui  lui est tout particulier. Par le cadrage, par la lumière, par la saisie des mouvements ou de l'absence de mouvement, par la découpe que créent dans la réalité d'un paysage les lignes de la nature ou celles d'un déplacement, elle offre des visions tout à fait originales.

Les deux séries  « Silhouettes » qui sont présentées à la Galerie Galry, 41 rue de Verneuil, à Paris,  sont un choc délicieux pour l'œil. Ses « Surfeurs du béton » et ses « Dunes » ont été captés au Brésil et à Los Angelès. La première série figure  l'absolu du mouvement, avec  les traces rétiniennes de skateboarders inouïs, sortis d'un maëlstrom dont on entend la fureur sonore… ( « Je suis cachée en vous », « Je suis un souffle de vie », « Je suis le strict minimum », « Je suis un fantôme »… Tirages numérotés sur 5,  sur Metallic Paper, appliqué sur Dibond). ) La seconde série, « Dunes »,  décrit dans des plages de couleurs, de coloris plutôt, l'absolu du  silence, de la pérennité, de l'immobilité. ( « L'envol », « La rêverie », « L'Éternité », « La Sagesse »… en tirages uniques, sur papier Fine Art texturé, appliqué sur Dibond). Ces images d'une sérénité immense, rien ne bouge, sont aussi d'une parfaite simplicité dans le graphisme minimaliste  et la couleur. François Gaujour aime à citer la phrase d'Eugène Delacroix : « La couleur est par excellence la partie de l'art qui détient le don magique. (…) La couleur a tous les pouvoirs sur la sensibilité ». Le message est bien passé.

Jacques Bouzerand